Alice Schmid, autrice de plusieurs films sur l'enfance, souvent difficile, maltraitée et exploitée, relate dans Burning Memories l'expérience de son viol qu'elle a subi à l'âge de 16 ans. Un documentaire comme une quête où la cinéaste tente de comprendre les raisons qui l'ont poussée à refouler cet événement, où elle questionne l'influence qu'a eu ce dernier sur sa vie et son travail et où elle défend l'importance de développer l’estime et la confiance en soi durant l’enfance afin d'avoir les outils pour se défendre et avoir le courage de dire non. Alice Schmid sera présente au CityClub pour introduire son film et discuter avec le public à l'issue de la projection.
Burning Memories d'Alice Schmid
(Documentaire, Suisse, 2021, 1h20, en français) – À l’âge de 16 ans, Alice a été victime d’abus. Cinquante ans plus tard, cette expérience refoulée revient inattendue dans sa conscience. Comment cela a-t-il pu lui arriver, et pourquoi a-t-elle gardé le silence? Comment une telle forme de répression mémorielle a-t-elle pu avoir lieu? Comment se fait-il qu’à travers tous ses films, elle ait abordé ces thèmes sans jamais songer à sa propre expérience? Pour tenter de répondre à ses interrogations, Alice qui touche de nombreuses femmes, mais aussi de nombreux hommes. Munie de son accordéon, Alice erre dans le désert, se replonge dans son passé et s’intéresse au phénomène du silence et de la répression mémorielle – un phénomène qui touche de nombreuses femmes de manière similaire.
COMMENTAIRE DE LA CINÉASTE
«J’ai grandi dans la ville catholique de Reussbühl à Lucerne. Petite fille, j’ai toujours voulu être comme ma grand-mère protestante. Avec elle, pas besoin d’aller à l’église le dimanche. Elle disait qu’un bon sermon une fois par an suffisait.
#plus#J’étais sportive et lorsque j’avais 16 ans, j’étais la seule fille du village à être autorisée à participer à un camp de natation. L’entraîneur m’a félicitée: tu te débrouilles très bien pour nager 20 mètres sous l’eau. J’étais très fière. Il m’a invité sous sa tente. Je n’en suis pas sortie avant le lendemain matin.
Je me suis tue et j’ai refusé de me rendre à l’école. Ma mère m’a donné un journal intime. Mes premiers mots à y être écrits ont été les suivants: jusqu’aujourd’hui, je n’ai rien écrit. Je ne sais pas comment commencer. J’ai été étonnée de toutes les choses que je n’ai pas écrites dans mes journaux intimes.
Une fille qui ne parle plus se porterait mieux en Romandie pour un an. C’était le sort réservé aux filles enceintes à l’époque. J’ai eu de la chance, je me suis retrouvée en Belgique, dans un internat avec des filles ayant fui la guerre civile au Congo. Je n’avais jamais vu d’enfants noirs auparavant. C’est avec eux que j’ai retrouvé la parole. De peur d’être enceinte, j’ai fait comme une des filles de l’internat qui avait le mal du pays, et j’ai mangé du savon. Elle disait que la mort serait indolore. Nous avons toutes les deux survécu, et mes menstruations sont revenues.
Ma fascination pour le continent africain, où je réaliserai des années plus tard des films sur les enfants soldats a commencé à ce moment-là. Après mon année de jeune fille au pair, personne ne m’a demandé ce qui s’était passé. Ils n’ont rien dit, et étaient contents que je parle à nouveau. J’avais complètement refoulé et oublié cette nuit sous la tente.
Cependant, je souffrais d’insomnies, de crises d’angoisses soudaines et de dépression. Les gens ne cessaient de me demander si j’avais subi des abus dans mon enfance. Je ne m’en souvenais pas. Je répondais que non, j’aurai dû le savoir sinon. Jusqu’à ce que je découvre, cinquante ans plus tard, le tableau "Puberté" d’Edvard Munch dans un musée. Je me suis soudain souvenue de ce qui s’était passé cette nuit-là. J’ai compris pourquoi j’avais réalisé des films sur l’enfance et la violence pendant toutes ces années.»
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